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ENTRE LA 3 ème et la 6 ème minute
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Se laisser tirer par l'aube : 
autour de mon livre "Je n'ai plus peur du noir"
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C’est un bout de plage comme une île. 
Le plan est resserré sur un seul corps, 
et pourtant on sait, on sent qu’autour, 
c’est le vide. Il y a du vide partout. 
Rien ne sera plus jamais comme avant. 
Un bout de plage comme une île. 
On se cramponne à un bout de terre, 
à une poignée de sable pour ne pas se laisser 
emporter loin de la rive. Ce serait tellement 
facile de lâcher. De se laisser engloutir. Alors non 
seulement on reste à sa place. Mais on essaie 
de faire comme si c’était facile. Comme si 
c’était naturel de ne pas bouger. 
De rester là tout seule. Avec plus personne à côté. 
Il y a une femme brune aux cheveux mouillés 
qui tombent sur ses épaules nues. Un maillot 
de bain fleuri sans bretelles. Le dos nus qui se donne 
complètement au soleil. Un corps de femme tranquille 
allongé sur une serviette rose. Ses jambes sont 
coupées par le cadrage. On ne voit pas son visage. 
Un corps pris en plongée, en tension, accoudé parterre. 
Elle regarde autour d’elle. La plage et la vie qui 
continue dans l’absence. A côté d’elle une parcelle 
de gazon vert planté là comme ça au milieu du sable fin. 
Un tapis d’herbe verte comme une bizarrerie 
réconfortante dans ce peu de paysage. 
Les vacances sans elle. Ce moment surréel 
d’un début de deuil. Tout le monde incrédule. 
La fille du photographe Julien Magre, 
Suzanne, est partie, un 25 juin 2015. Et puis 
il y a les jours d’après. Les vacances d’été, 
sans elle. Juste Sa compagne, la mère de sa fille, 
sur cette plage, en attente. Julien Magre 
avait passé un marché avec Suzanne, malade. 
On fait des photos ensemble, et la fin du livre 
ce sera la guérison et les grandes vacances. 
Ce sont des images douces. 
Des images où de l’herbe verte en quantité 
repousse dans ce paysage de sable. 
Où le soleil ne s’impose pas. 
De la discrétion partout. 
Comme en attente du prochain 
mouvement qui fait réaliser qu’il y 
a une vie à vivre après. 
Et qu’il faut être là, voir ça. Pour elle. 
Des images où ce visage d’enfant souvent 
grave qui se donne aux baisers de sa mère 
et au regard de son père, ce visage là, 
aux tâches de rousseurs et au regard profond 
et clair, s’imprime partout. Dans toutes 
ces photos d’absence. Comme si on le 
connaissait depuis toujours ce visage. 
C’est une série que l’on peut voir au festival 
Map qui se tient tout ce mois de juin à Toulouse. 
Avec pour thème, la famille. Ici dans cette série 
de Julien Magre, la famille porte la vie, 
et continue un chemin. Avec une phrase en tête, 
issue d’une autre série du photographe, 
Nous vieillirons ensemble- suite. 
Des mots d’ami aussi doux que définitifs 
«Elle tenait de vous et désormais 
c’est vous qui tenez d’elle».
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Emilie Chaudet
juin 2017
