Nous vieillirons ensemble. suite
Avec mes amis, on a tous 40 ans.
Pour moi, la vie s’est quasiment arrêtée là. 
La mort de Suzanne m’a démoli.
La vie comme une grande désillusion.
Je pensais, naïvement, avoir tout construit,
pas à pas, brique après brique.
Je pensais que la vie m’avait offert un équilibre, 
un équilibre quasi immortel, 
et j’avais oublié la mort, 
comme un idiot. 
Mes amis sont là, 
ont été là dans cette épreuve abominable.
Ils seront là encore. J’ai pris du ventre, d’autres 
ont perdu leurs cheveux. On a tous nos angoisses 
qui ont grandi avec le temps, des angoisses 
de rien, des angoisses de vie.
Maintenant, on loue des maisons entre amis.
On a tous des enfants ou presque, il y a ceux 
qui n’en veulent pas et ceux qui n’arrivent 
pas à en avoir.
Certains ont perdu leurs parents.
On se refuse les beignets du goûter 
mais on finit la glace des enfants.
On continue à faire la fête. On accepte mieux 
les silences. On accepte mieux l’autre, 
on le juge moins. 
Je me plais à dire ironiquement 
qu’on est «à la moitié».
Le bonheur n’existera plus pour moi, 
ou que dans des moments minuscules, 
mais jamais comme avant. 
Aujourd’hui le réél ne me suffit plus.
Timothée s’est remis à la peinture. 
Mauricio a démissionné et il a mal 
au ventre de ne pas angoisser assez.
Stéphane s’est installé à Marseille, 
il a toujours rêvé de soleil et de mer.
Il ne me reste que Louise et Caroline, 
mes deux compagnons de vie qui 
m’offrent leur souffle, leur élan, 
leurs mouvements, leur envie d’avancer 
encore, et de ne pas fléchir. 
Je m’accroche au vide humblement, 
il n’y a pas de courage à cela, 
juste de la survie.
J’ai vu ma fille mourir sous mes yeux, 
il faisait beau ce jour-là.
Yann et Chloé ont acheté un chien 
avec un nom d’humain. 
J’aime Yann comme un frère. 
Olivia n’aura sans doute jamais d’enfant. 
Judith consacre sa vie à ses enfants. 
Je ne sais pas qui a raison. 
Tout le monde sans doute.
Yannick vit son rêve d’enfant alors 
qu’il se noie dans la déchirure de son couple.
Olivier a quitté la France ou la fuit, 
je n’ai jamais su. 
Matthieu est l’homme le plus généreux 
et le plus honnête que je connaisse. 
La mort de ma fille m’a rapproché
de mon frère, c’est étrange et beau à la fois.
Pleurer devant mes amis n’est plus un problème.
Fannie est la personne la plus passionnée 
que je connaisse. Et cette passion l’amène
si loin, c’est prodigieux.
J’ai fait des enfants parce que c’était mon rêve. 
Mon rêve s’est réalisé puis s’est détruit.
J’accepte peu à peu cette fatalité mais 
je suis en colère. En colère de pas avoir 
le choix, de devoir accepter ce néant 
et subir ce trou béant qui, chaque jour 
me déchire un peu plus le corps.
Alexandra a cette voix d’enfant qui 
ne la fait pas vieillir. 
Isabelle imite à merveille la danse 
des personnes âgées. 
Julie, Marina et Carole sont tellement 
belles dans leur douce folie.
La jouissance reste sans doute 
l’un des recoins de notre existence où 
l’esprit et le corps peuvent se libérer, 
sans a priori. 
On a tous 40 ans. 
On se cherche moins,
mais on cherche toujours quelque chose.
Vincent m’a écrit cette phrase 
sublime l'autre jour:
"Elle tenait de vous et désormais 
c’est vous qui tenez d’elle." 
Flaujagues, France,
août 2015.
