C’est la nuit.
C’est une enfant.
L’enfant marche dans la nuit,
une nuit profonde et infinie.
C’est la nuit me dit-elle.
Il me semble qu’elle avance vers moi.
Elle n’est plus si loin.
Elle sort d’un rêve ou elle passe
d’un rêve à l’autre.
Je ne sais plus.
Elle n’a pas peur. Elle marche.
Je la regarde intensément.
Elle me regarde aussi, je comprends
aussitôt que la peur ne l’atteint pas.
L’image en est la preuve.
Cela me bouleverse.
Elle se confronte à la nuit,
la nuit n’est pas un sujet.
C’est une évidence.
Elle ne doute pas et elle ne doutera plus jamais.
C’est écrit.
Elle marche encore, elle marche droit
puis d’un coup elle s’arrête.

Le noir et la nuit sont une image,
une invention, une couleur, une abstraction,
un mot. Elle sait déjà tout cela.
Elle reprend alors sa marche et affronte l’invisible,
transperce ce sombre vide et ses pas silencieux
remplissent le temps. Et cela je ne le vois pas,
je le devine, je l’entrevois.

Je ne me souviens plus si cette nuit-là,
elle portait une robe ou une chemise de nuit.
La couleur était bleue.
Elle regardait droit, cela je m’en souviens.
Je me souviens aussi d’une bretelle qui tombe,
ce qui lui donne un air farouche et guerrier,
une épaule est à nue, comme si elle
venait de se battre avec une chimère.
Elle n’a toujours pas peur. Son regard le dit.
Elle, elle sait qu’elle n’aura plus jamais peur de rien,
elle le sait désormais. C’est un fait.
Cette nuit-là, elle décide aussi que rien ni personne
ne la dominera, jamais.
Elle traverse la nuit une ultime fois pour
être sûr que c’est bien elle la maître du jeu.

Puis elle s’envole et survole le monde,
un jeu d’enfant.
Elle est la nuit. Elle est la vie elle-même.
Elle est le rêve suprême et sublime.

Puis l’enfant s’arrête brutalement
et définitivement.
Car elle sait. Elle dit « c’est là ».
Elle est au centre de la nuit qu’elle vient de traverser,
elle est le coeur de toutes les nuits.
Le nombril du monde.
Elle me regarde alors fixement et me dit tout bas,
pour ne pas attiser d’autres monstres :
« je serai la force, je serai le cœur qui bat en toi,
je serai le souffle, je serai ton sang et ta source,
j’étoufferai la colère et la culpabilité qui t’ont abîmé,
je serai le silence et le vent, je serai la mer et le feu,
je serai les arbres, je serai tous les rêves à la fois,
je serai la substance qui te protégera, pour toujours.
Je serai là, au centre de toi ».

Paris.
6 septembre 2025

http://julienmagre.fr/files/gimgs/98_l1001132-magre-site.jpg