La robe et la main.
Cela fait trois jours que le cavalier parcourt
cette forêt aux arbres émaciés. Sous les sabots,
les feuilles se décomposent en teintes brunes,
ocres et pourpres, et parfois surgissent le vert
de la mousse, le gris de la boue. La plupart du temps,
le cavalier ne pense pas, du moins il n’en a pas
l’impression. Il avance. Il écoute. Il regarde.
Parfois il se baisse pour passer sous des branches,
parfois il les écarte de la main, ou il les brise.
Parfois il ne peut s’empêcher de penser.
Il se rappelle qu’un peu plus tôt dans la journée
une idée lui a traversé l’esprit. Une idée ridicule.
Il s’est imaginé que d’autres cavaliers étaient lancés
à ses trousses. Il a songé à ça pendant quelques
minutes puis il a écarté cette pensée. Un événement
l’a aidé à passer à autre chose. Le bruit d’une bête
qui a détalé ou le chant d’un oiseau.
Il ne sait plus. Parfois il lui arrive de parler.
Pour s’adresser au cheval, mais aussi pour
s’adresser à lui-même. C’est quelque
chose qu’il avait déjà remarqué auparavant.
Il lui suffit de quelques jours de solitude pour
se mettre à penser tout haut. Il se dit que,
sous certains aspects, penser revient à dialoguer
avec soi-même. Mais il se doute que ce
n’est pas tout.
Maintenant la lumière décroît
et il doit trouver un endroit où passer la nuit.
Il gagne une toute petite clairière.
Il laisse le cheval paître. Il monte la tente.
La forêt est humide et il doit utiliser son
couteau pour trouver du bois sec
au coeur du bois mort. Il parvient à faire partir
le feu juste avant la nuit. Quand il ouvre
un paquet de noix et de fruits secs, le bruit
des froissements du plastique entre ses doigts
lui parait incongru ici au milieu de la forêt.
Mais ensuite il réalise que ce bruit se rapproche
de celui des crépitements du feu et que l’on pourrait
dire que ces deux sons appartiennent à la même
famille. Soudain le cheval s’agite. Alors le cavalier
se lève, s’approche de lui, le caresse et lui murmure
que tout va bien et qu’il ne faut pas s’inquiéter.
Mais le cheval ne se calme pas.
Il remue. Il piétine. Il hennit.
Et les flammes se reflètent dans son grand œil
noir écarquillé. Alors le cavalier se retourne
et scrute l’obscurité qui se dresse devant lui
et le cheval. Il fait quelques pas en avant.
Assez pour se tenir à la limite du périmètre
éclairé par le feu. Tendant l’oreille. Attendant
que quelque chose se manifeste. Mais aucun
bruit ne lui parvient. Il passe la main dans
la crinière du cheval qui se détend peu à peu.
Il caresse le chanfrein. La croupe.
D’abord tout doucement. Puis de façon plus appuyée.
Progressivement. Jusqu’à ce que le cheval soit
totalement apaisé. Ensuite le cavalier alimente
le feu puis entre dans la tente et s’endort.
Le lendemain, le cavalier s’éveille aux premières
lueurs du jours. Il ne lui faut pas longtemps pour
comprendre que le cheval n’est plus là.
Il se précipite hors de la tente. Tourne sur lui-même,
ne sachant dans quelle direction s’élancer.
Il appelle le cheval. Il se met à genoux.
Examine le sol à la recherche d’empreintes.
Tout à coup, il sent quelque chose bouger
dans son champ de vision. Il lève les yeux
et aperçoit une silhouette barrée par quelques
branchages malingres. Une silhouette
qui s’approche d’un pas lent.
La silhouette du cheval, se persuade-t-il.
Julien Perez, Juillet 2018.
Ce projet a été réalisé dans le cadre de
la résidence PMU 2018.
Il a bénéficié du soutien de Leica France.
Je remercie tout particulièrement Françoise Vogt,
Patrick Le Bescont, Nicolas Clément et ses cavaliers,
Whitepapierstudio et Julien Perez.